Interview du scénariste Marc Herpoux : état des lieux des séries en France

Voici la seconde partie de l’interview de Marc Herpoux.

Le scénariste Marc Herpoux dresse un constat sur la situation actuelle des séries en France.

Qu’est ce qui explique selon vous la domination des séries US sur les françaises en France, alors qu’en Allemagne, par exemple, ce sont les fictions nationales qui dominent ?
Pendant 30 ans, notre modèle TV en France s’est ancré dans un centralisme qui date de la naissance de l’ORTF avec le concept de la voix du gouvernement dans chaque foyer. De ce point de départ découle un système pyramidal descendant. Les décisions viennent d’en haut, c’est-à-dire, des chaînes qui commandent des programmes à des producteurs (milieu de la pyramide) qui eux-mêmes vont chercher des scénaristes (en bas) qui voudront bien remplir ces commandes. De là aussi une majorité des fictions télévisuelles qui apparaissent comme «éducatives» et «bien pensantes». Il n’y a pas longtemps, depuis 2005 environ, ce système a commencé à bouger du fait qu’il ne fonctionnait plus dans sa forme d’origine. Avec une sévère baisse continue des audiences, les chaînes ont été obligées d’envisager de trouver une alternative. En guise de comparaison, dans les années 1990, un téléfilm sur TF1, comme Julie Lescaut, pouvait faire 14 millions de téléspectateurs, alors qu’aujourd’hui, un bon score pour TF1 se situe autour des 8 millions. C’est un problème très français, plus personne ne sait quoi faire de l’objet télévisuel. De leur côté, les téléspectateurs ont découvert la série d’auteur de qualité à travers des fictions étrangères, et massivement américaines, et leur exigence s’est élevée. En ce moment, on assiste à un début de bouleversement en France, et des auteurs en France, il y en a ! On voit déjà du renouveau avec des exceptions comme Ainsi soient-ils ou Les Revenants. Cela dit, cette évolution va prendre beaucoup de temps.ainsi_soient_ils

La création en France se trouve-t-elle freinée par une forme de «censure» de la part des chaînes télévisées ? Comment s’exprime-t-elle ?
La plupart des chaînes ont une politique éditoriale forte en matière de fiction. Pendant un moment, celle de Canal+ était axée sur le sexe, la violence et la corruption, avec des séries comme Maison close, Braquo, Engrenages. Pour la saison 1 de Pigalle la nuit, avec Hervé [Hadmar], nous l’avions construite un peu autour de ces thèmes, mais aussi sur des thèmes plus humains avec un peu de fantastique à travers la mythologie qui accompagne ce quartier de Paris. Pour la saison 2, nous voulions donner plus d’importance à ce dernier aspect, mais ce n’était pas du goût de Canal+. Cette chaîne a une vraie culture de la série, mais est aussi très directive. On observe d’ailleurs souvent que d’une saison à l’autre dans d’autres séries, les auteurs ne sont jamais les mêmes.

Faut-il piocher certains éléments de construction dans ces succès de séries étrangères ou au contraire trouver une voie totalement nouvelle ?
En termes de construction économique, je pense que nous avons à apprendre d’autres pays européens comme la Grande-Bretagne, le Danemark, ou la Suède. Avec les autres pays européens, nous partageons une histoire commune, parfois des références culturelles. En revanche, les États-Unis se basent sur une mythologie tout à fait différente, notamment celle de la figure du héros. En France, nous avons du mal à parler de notre réalité sociale. Nous cherchons à prendre à notre compte l’efficacité du modèle américain, sans vraiment réussir à se l’approprier… en parlant de nous, tout simplement. Dans une série comme No Limit, des codes typiquement américains sont repris avec les moyens français et dans un cadre français, et du coup ça tombe un peu à côté. Notre réalité est souvent édulcorée. Nos problèmes sociaux survolés. Je ne demande pas à ce que nos chaînes de télé ne fassent plus que des séries sociales (telles que Les Vivants et Les Morts – très bonne série au demeurant), mais juste de dépeindre un milieu, des personnages, avec justesse, parce qu’ils nous ressemblent. La Grande-Bretagne et les pays nordiques parviennent à produire des séries ancrées dans leur réalité, en étant éducatives tout en évitant le ton paternaliste. C’est ce que nous avons modestement essayé de faire avec Les Oubliées, ou Pigalle, la nuit. Faire un thriller ou du polar, tout en ancrant ça dans la réalité d’une région, ou la mythologie d’un quartier célèbre. C’est une formule que nous avons repris avec Les Témoins.

La série française pourra-t-elle s’exporter en masse un jour ? Que pensez-vous des séries comme Crossing Lines, Le Transporteur, ou Jo qui sont tournées en anglais pour optimiser les chances d’exportation ?
Pour moi, ces séries tournées en anglais représentent le risque pour la France de devenir le fournisseur en séries des États-Unis, leur usine en quelque sorte. Borgia a été fait en anglais, alors qu’il s’agit d’une partie de l’histoire italienne, et un projet sur Versailles en anglais est aussi en préparation. D’autre part, je ne vois pas l’intérêt des remakes, une démarche qui est profondément inintéressante artistiquement. La série The Bridge, coproduite par le Danemark et la Suède, connaît un remake aux États-Unis et un autre entre la France et la Grande-Bretagne, par Canal+ et Sky Atlantic. Avec ce genre de projets, Canal+ me fait penser à la culture des yéyés, à l’époque où les chanteurs français reprenaient en français les tubes américains ou britanniques.

REVENANTSQuel regard portez-vous par exemple sur des séries comme Ainsi soient-ils ou Les Revenants (rachetée pour adaptation aux USA) ?
Pour Les Revenants, le premier épisode était superbe, avec une direction artistique vraiment marquante, influencée par le photographe Gregory Crewdson. En revanche, sur l’ensemble, je trouve Ainsi soient-ils supérieur. Dans Les Revenants, après quelques épisodes, on va d’incohérence en incohérence, et la fin est maladroite. La série ne cesse d’aller vers plus en plus de mythologie américaine avec le bar et ses billards, le dinner, les pick-up, et semble piocher dans des séries comme Twin Peaks ou Lost. Les personnages restent désincarnés, ils ne travaillent pas, n’ont pas de loisirs, le village ne s’inscrit finalement pas dans une réalité tangible. S’ils étaient davantage définis, cela impliquerait de montrer qu’ils appartiennent à une culture française. Or, les Français ont un problème avec le fait de parler de leur culture, de mettre en avant les spécificités de notre société. Un film comme La Graine et le mulet, d’Abdellatif Kechiche, aurait pu donner une superbe série sur une fresque sociale à Marseille. Pourtant, aucun projet n’a été monté en ce sens, et c’est dommage. Ainsi soient-ils possède une identité visuelle moins riche, mais s’ancre dans une réalité française et s’avère très bien documentée. Le sujet des séminaristes n’est pas évident et il a été traité sans manichéisme.

Propos recueillis par Claire Lavarenne

A venir : la troisième et dernière partie de l’interview qui se concentre sur le métier de scénariste…

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